Un article de l'autonome de solidarité laïque : les risques du métier.
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http://www.autonome-solidarite.fr/articles/anna-topaloff
Journaliste spécialisée dans les questions d’éducation, Anna Topaloff décrypte dans «La tyrannie des parents d’élèves » (Fayard) l’évolution de la relation parents-enseignants.
Pourquoi évoquer une « tyrannie des parents » ?
À trop vouloir protéger et défendre leur enfant, certains parents ne sont plus des partenaires de l’école. Le rapport de force entre parents et enseignants s’est inversé :
dans la tête du parent, ce n’est plus à l’enfant de se montrer «
aimable et gentil » mais à l’enseignant. A titre d’exemple, cette phrase
récurrente à la sortie de l’école : « est-ce que la maîtresse a été
gentille avec toi ? ». Certains parents ont aussi la volonté de contrôler le travail de l’enseignant. Cette « tyrannie » se traduit par des
comportements qui empoisonnent la relation parents-enseignants :
contestation d’un redoublement ou d’une sanction, critique des méthodes
pédagogiques, voire des violences. J’ai couvert le secteur de
l’éducation pour le magazine Marianne pendant de longues années. En
2009, l’élément déclencheur de cet ouvrage a été un faits divers dans
une école maternelle du Raincy. Le geste maladroit d’une institutrice
faisant face à une classe très dissipée a été accusé de maltraitance par
les parents. Je me suis alors demandée comment la confiance avait-elle
été rompue à ce point-là.
Comment expliquer ce diagnostic ?
Il relève d’une crise de l’école et d’une évolution sociétale. Tout d’abord, les parents sont inquiets car l’école ne remplit plus ses missions.
Par exemple, elle ne forme pas suffisamment les jeunes pour qu’ils
s’insèrent sur le marché du travail. Elle laisse aussi partir chaque
année 150 000 jeunes sans diplôme. Dans ces conditions, comment s’étonner que les parents demandent des comptes à l’école ?
Plus généralement, dans un monde où les élites politiques sont
décrédibilisées et les élites économiques sont incontrôlées, les
populations ont renoncé à l’espoir de changer la société. L’éducation
de nos enfants reste toutefois un domaine sur lequel les parents ont
encore le pouvoir. L’enfant devient une valeur refuge. On ne vote plus, on ne manifeste ou milite plus, mais nous avons des idées bien arrêtées sur l’éducation de nos enfants !
Y-a-t-il un profil du parent « tyrannique » ?
Ces parents ne relèvent pas d’un profil défini.
Cela peut être des traditionalistes de toutes confessions qui veulent
imposer leurs valeurs, mais aussi la super-élite des affaires qui
méprise les enseignants, ou encore les bobos qui pensent qu’on obtient
le CAPES automatiquement en devenant parents.
Quels sont les points de vigilance ?
Alors que les réunions parents-enseignants sont très protocolaires, les tensions ont plutôt lieu dans le couloir, dans le bureau du directeur, mais aussi lors des conseils de classe ou d’école. Les personnels de l'éducation qui sont sortis de situations compliquées l’ont souvent fait en la jouant collectif.
L’institution peut retrouver sa force, mais ce n’est pas toujours
évident car le fonctionnement de l’Éducation nationale ne favorise pas
l’esprit collectif entre collègues.
En quoi une assurance comme l’Offre Métiers de l’Éducation est-elle importante ?
L’Offre Métiers de l’Éducation répond à un besoin juridique réel car plus de la moitié des enseignants l’ont choisie. Cela ne veut pas dire que ces personnels rencontrent forcément des difficultés mais ils ont besoin de protection. Face à l’explosion des plaintes déposées par les parents, les personnels doivent pouvoir se défendre correctement et dignement.
Quelles ont été les sources de cet ouvrage ?
J’ai rencontré une soixantaine de personnels de l’éducation dans toute la France et sur un large panel d’établissements. Je me suis également appuyé sur les
statistiques de la Fédération des Autonomes de Solidarité, notamment
sur le fait qu’en 2012-2013 les responsables légaux ou la famille proche
étaient impliqués dans 54% des conflits. Ces statistiques constituent le seul observatoire des risques du métier.
Comme la FAS, j’ai constaté que les conflits avec les familles sont
plus fréquents dans le premier degré. En primaire par exemple, il semble
que les parents croient fréquemment qu’ils ont les mêmes compétences
que l’instituteur.
Comment améliorer cette situation ?
Il faudrait tout d’abord que les parents prennent conscience que l’Éducation nationale assure la formation de tous les enfants, et non d’un seul.
Des petites mesures techniques dans le fonctionnement de l’Éducation
nationale permettraient également d’apaiser les relations. Par exemple, les chefs d’établissement ne devraient plus être évalués sur leur capacité à « gérer les problèmes en interne ».
Pour progresser dans leur carrière, les chefs d’établissements doivent
en effet prouver qu’ils sont capables de gérer les conflits avec les
parents sans faire appel au rectorat. Ainsi, face à des parents qui
menacent de passer un coup de fil « en haut lieu », le chef
d’établissement à trop souvent tendance à leur donner raison pour «
éviter le scandale » et ne pas avoir mauvaise réputation au rectorat. Si
les chefs d’établissements étaient évalués sur un autre critère que la
capacité à ne pas « faire d’histoire », ils pourraient être plus fermes à
l’égard des familles.
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